Interviews et tournages réalisés dans les respect des règles sanitaires avant la cinquième "vague épidémique" de Covid-19
Cécile Pellegrin | Bonjour Frank Ribuot, merci de nous recevoir dans vos bureaux. Est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots ainsi que votre entreprise ?
Frank Ribuot | Bonjour, donc Frank Ribuot, patron du groupe Randstad et du groupe AUSY Groupe Randstad en France et AUSY pour les activités au niveau monde. Randstad, c'est une société qui est le leader mondial dans les ressources humaines. On est bien sûr connus dans le domaine de l'intérim, qui est sous la marque Randstad, mais on est aussi très présent dans le recrutement, recrutement de cadres par le biais d'une société qui s'appelle Expectra, également sous la marque Randstad Search, dans le réseau Randstad. On est très présent dans l'intérim médical et dans le recrutement médical sous la marque Appel Médical. On a aussi un job board, c'est moins connu. On sait moins que c'est dans le groupe Randstad, mais le job board Monster fait partie de notre société. Donc on a une présence ici en France qui est assez importante et tout un tas d'autres activités qui sont le conseil des ressources humaines sous la marque RiseSmart, Randstad RiseSmart, qui a été lancée maintenant en France.
Cécile Pellegrin | Quel constat faites-vous de l'effet COVID et de la crise sanitaire sur votre coeur de métier ?
Frank Ribuot | On a connu un très gros bouleversement au démarrage de la crise COVID notre activité et l'activité au sein de l'ensemble du secteur est tombée d’à peu près 70 %. La crise COVID peut potentiellement créer deux mondes parallèles : un monde de sièges et un monde d'agences. On se trouve dans un secteur où là, on est obligé d'être présent puisque nos candidats veulent nous voir. On parle beaucoup de télétravail, mais on a aussi une grosse demande de contacts et encore, peut-être plus de contacts, de demandes de contacts que ce qu'on avait avant avec des gens qui veulent justement renouer ce lien et ce lien, il se fait avec nos agences. Donc est-ce qu'il y a un risque, par exemple pour nous, en tant que société, d'avoir un monde où on a des attentes de télétravail et un monde d'agence où on peut en faire beaucoup moins ? Et est-ce qu'on va réussir à créer à garder la société une et unie ? Quand on a potentiellement deux populations qui vont être traitées entre guillemets, traitées de manière différente de par les métiers qu’ils font ? Le deuxième impact, c'est quel est le rôle de l'agence demain ? Le rôle de l'agence, le rôle du consultant, est quelque chose que l'on regarde aujourd'hui. On a un projet aujourd'hui qui s'appelle l'Agence de demain, où on se pose vraiment la question de savoir : qu'est-ce qu'on a comme agence, où il faut qu'elle soit ? Est-ce qu'il faut qu’on en ait autant ou moins ? Et est-ce que c'est plus proche du client ou plus proche du talent ?
Cécile Pellegrin | Les salariés expriment-ils des attentes nouvelles vis-à-vis de leur employeur et de leur recruteur ?
Frank Ribuot | Une plus grande importance est donnée au sens au travail. Donc, on a eu déjà des demandes avant la crise sur la capacité de répondre, nous en tant qu'employeur, sur la raison pour laquelle les gens viennent travailler pour nous. C'est quelque chose qui existait déjà un petit peu avant et qui a été accentué encore plus avec la crise du COVID où maintenant on a vraiment tous, en tant qu'employeur, la responsabilité d'expliquer aux gens la raison et le sens qui fait qu'ils vont venir tous les matins se réveiller pour venir travailler là. Et ce qu'on voit après la période du COVID, c'est que la rétention des employés devient un sujet très important puisque pour toutes les questions et toutes les raisons dont on a parlé avant de questionnements, de volonté de relocalisation, etc. Les gens ont plus tendance à se dire tiens, je vais peut-être partir aller chercher un autre employeur. Donc, notre capacité à pouvoir avoir un message fort et être en totale adéquation entre ce qu'on offre et ce qu'on dit et d'avoir un message autour de ça qui est consistant, va nous permettre de garder les gens. C'est quelque chose qui est très important dans cette période post-COVID.
Cécile Pellegrin |Randstad étant un groupe mondial, est-ce qu'on voit des similitudes ou des différences de la France vis-à-vis du recrutement ?
Frank Ribuot | Pour nous dans le groupe Randstad ce qu'on voit, c’est qu'on a beaucoup plus chuté pendant la crise que tous les autres pays au monde, tous sans exception. Mais on est le dernier pays aujourd'hui à être revenu à peu près à 2019, quand tous les autres pays dans le monde ont déjà dépassé 2019. Donc, on est encore l'exception française. Et cette différence est due à plusieurs facteurs. Un, la flexibilité du marché du travail. On est sur un marché du travail qui est très régulé et donc qui absorbe les chocs quand ce sont des chocs à la baisse, avec toutes les aides qu'on a connues, mais qui aussi ralenti en fait les reprises au moment de la reprise. Parce que justement, grâce à toutes ces aides, l'urgence potentiellement pour la reprise, n'est pas autant là que ce qu'elle pourrait être. Donc, on a un marché du travail qui est assez complexe et ça, c'est la grosse différence par rapport aux autres pays du groupe. Les autres différences qu'on voit sont plutôt liées à des questions de géographie. Il y a des pays où la mobilité est quelque chose de très naturelle puisque les réseaux familiaux, les façons dont le bien immobilier est perçu - je prends des pays comme l'Angleterre, je prends des pays comme les États-Unis, etc., le bien familial, le bien immobilier est vu comme un asset donc on peut le vendre, on peut l'acheter, on peut le vendre et c'est une transaction. En France, on est beaucoup plus attaché à l'endroit où on vit. On est beaucoup plus attachés au fait qu'on n'est pas loin de notre famille. Pour les raisons de bien être dont on a parlé, si on a des enfants, voir les grands parents pas trop loin, donc la mobilité n'est pas aussi naturelle qu'elle pourrait être dans d'autres pays. Et donc ça, on le voit puisque la grosse question qu'on a aujourd'hui, c'est une question de pénurie de talents. La pénurie de talents, elle existe, mais elle existe par bassin, par bassin de métiers et des fois, on a le talent. Mais il n'est pas l'endroit où on en a besoin et la capacité notre capacité en France à pouvoir attirer ces gens-là pour une période de temps sur un bassin différent est beaucoup plus compliquée qu'on pourrait avoir dans d'autres pays.
Cécile Pellegrin | Vous avez un réseau de 900 points de présence en France. Observez-vous une augmentation des candidatures en région ?
Frank Ribuot | Il y a plusieurs choses qu'on voit dans les réseaux. Il y a une partie de la population et une petite partie de la population qui demande à se relocaliser sur des villes moyennes ou plus petites pour un confort de vie, particulièrement dans des métiers, je dirais tertiaires, qui peuvent être faits en télétravail. Il ne faut jamais oublier qu'en fait, il y a peut-être 30% des métiers qui peuvent être faits en télétravail. Donc on parle d'une population bien définie où il reste quand même une grande partie de la population qui a besoin d'être là, dans les magasins, dans les hôpitaux, dans les usines, etc. Donc, on parle d'une population de 30% et ça, on le sent partout en France, de manière équitable, sur tout le territoire. Quand on parle de transition de région à une autre, on sent que dans le sud de la France ou en Bretagne, il y a énormément de flux entrants, donc de gens qui veulent venir se relocaliser. Si vous allez sur des villes comme Montpellier, Marseille, etc. Sur toute la côte, on voit vraiment un afflux de gens qui arrivent. Mais ça se fait pour les migrations je dirais, plus longues. Pour le reste, l'immigration plus locale, je dirais, là, on le voit partout en France. Est-ce que la localisation géographique d'une entreprise au sein d'une ville peut avoir une influence sur le recrutement ? La localisation géographique est très importante, alors c'est important à plusieurs niveaux. Un premier niveau qui est : est-ce que vous êtes bien connectés avec l'environnement dans lequel vous évoluez ? Et quand je parle de connecté, ça peut être aussi en termes de business. Est-ce qu'au niveau logistique vous pouvez envoyer ce que vous produisez rapidement, mais surtout en termes de connectivité avec les employés. Est-ce qu'ils peuvent venir chez vous de manière rapide ? Une des grosses problématiques qu'on rencontre en région, c'est une problématique de mobilité. On peut trouver des gens, mais il n'y a pas les bus ou il n’y a pas de taxis, ou il n'y a pas de Uber, ou il n'y a pas de... Il n'y a pas tout ce qu'on peut connaître dans un microcosme parisien ou dans une grande ville, à Toulouse, à Bordeaux, à Marseille. Et ça, on le retrouve pas en fait ce microcosme là, dans des villes qui sont à plus petite échelle. Donc, du coup, cette capacité à pouvoir être connecté rapidement pour pouvoir dans son bassin d'emploi, retrouver le plus de gens possible est quelque chose qui est hyper important. Donc ça a une influence. Là où ça devient un peu plus compliqué, c'est sur des métiers plus tendus. On va prendre un exemple. La recherche et développement. Si on met un centre de recherche et de développement dans un endroit qui est un peu perdu, on va pouvoir potentiellement attirer des gens. Mais il faut toujours se souvenir qu'en attirant les gens sur certains endroits là, beaucoup de personnes vont se poser la question : est-ce qu'en venant je vais me couper de mes relations et de mon network ? Et on sait que le network est hyper important dans notre capacité à trouver un emploi. Puisque nous, on a des études qui nous montrent que plus de 44% des emplois en France sont trouvés par le biais du réseau.
Cécile Pellegrin | Donc la centralité, le nouvel enjeu des entreprises aujourd'hui ?
Frank Ribuot | Je ne parlerais pas de ville. Moi, personnellement, je parlais plus de bassins d'emploi. Donc, est-ce qu'on est sur un bassin ? Et les bassins d'emploi sont des bassins, on en a parlé un petit peu avant, d’à peu près une trentaine de kilomètres. Donc sur un même département on peut avoir trois, quatre ou cinq bassins qui existent. Et donc, est-ce que dans ce bassin-là, on a la capacité de recruter les gens dont on a besoin pour faire les métiers dont on a besoin ? Et si on ne peut pas recruter des gens qui sont déjà pré-formés, est-ce qu'on a des gens qui ont la capacité de faire des formations et de suivre ces formations pour pouvoir justement avoir les emplois dont on a besoin ? Et tous les avis qu'on donne aux sociétés quand ils viennent nous voir pour demander où s'implanter, on les fait raisonner en bassins d'emploi et en bassins d'emplois les uns à côté des autres puisque des fois, ils sont, ils se touchent un petit peu. Et ça, c'est quelque chose qui est plus important potentiellement que la ville.
Cécile Pellegrin | Quelle est votre vision de la cartographie française des entreprises de taille intermédiaire et des grandes entreprises de demain ?
Frank Ribuot | Ce que je pense, c'est qu'en termes de mobilité et en termes d'activité, on voit toutes ces entreprises qui ont réussi à reprendre des parts de marché et à bien travailler avec les grands donneurs d'ordres. Donc, les grands donneurs d'ordre ont bien géré leur écosystème, ont bien fait attention et là, on sent vraiment la reprise qui est une reprise pour nous, aussi bien au niveau des grands donneurs d'ordres qu'au niveau des plus petites entreprises partout, encore une fois, en France.
Cécile Pellegrin | Et selon vous, quelle est la place des villes moyennes aujourd'hui ?
Frank Ribuot | Moi, je crois vraiment dans les villes moyennes, alors je me promène énormément en France. Je passe 50% de mon temps à voyager un peu partout en France et je crois énormément dans la force de la ville moyenne parce que la force de la ville moyenne, c'est un peu comme le commerce de détail du quartier. C'est qu'en fait, on arrive encore à avoir toutes les relations très proches avec les gens, où ils vont à l'école et on crée des networks qui sont beaucoup, beaucoup plus importants. On est dans la capacité de connaître des gens beaucoup plus facilement et je pense que ces villes ont vraiment une grosse carte à jouer sur justement cette qualité de vie. A partir du moment où elles auront travaillé sur la connectivité, sur les transports en commun qui pour moi sont hyper importants et l'attractivité en termes d'emploi et de formation.
Cécile Pellegrin | Avec ces enjeux de cybersécurité, est-ce qu'on verra demain des grands sièges des grandes entreprises et les sièges sociaux se délocaliser plus en régions ?
Frank Ribuot | Je pense que ce n'est pas une question de cybersécurité, mais je pense que la question du bien-être au travail et de la capacité d'avoir des gens qui veulent faire des allers retours d'une heure dans les transports en commun, par exemple. Nous, on est basé à Saint-Denis. Donc, la question d’être basé à Saint-Denis, c'est : est-ce que les gens veulent faire 1h de RER pour venir ici ? Ou est-ce qu'ils veulent aller sur l'autoroute et être dans les embouteillages ? Donc ça va pas être tant des questions de cybersécurité, mais des questions fondamentales. Un, c'est quoi le rôle d'un siège ? Les fonctions support, entre guillemets est-ce qu'elles peuvent faire plus de télétravail ou non ? Si elles peuvent faire plus de télétravail, un siège devient quoi ? Un siège devient historiquement un siège où tout le monde venait pour faire un certain nombre de choses pendant le mois. Est-ce que demain, le siège va être un endroit de rencontre, par exemple, où on va organiser ça comme un espace de grands sites de partage, où les gens viendront dans les salles de réunion et se retrouveront une fois par semaine, deux fois par semaine ? Et c'est ça, plutôt les questions. On va peut-être voir une transition, par exemple, de sièges qui vont devenir un peu plus petits et qui vont peut-être se remettre pour nous au centre de Paris. Je ne dis pas que nous, on va le faire. On ne peut parler de délocalisation, on ne peut parler de télétravail ou on peut parler de relocalisation au centre des villes puisqu'on n'a plus besoin des mêmes espaces.
Cécile Pellegrin | Et vous, quelle est votre vision ?
Frank Ribuot | Avoir la formation en siège, pour nous, c'est important. Jusqu'à aujourd'hui, elle était en dehors de notre siège et je veux la remettre ici parce qu'encore une fois, dans le cadre de la marque employeur, dans le cadre du sens au travail, faire venir des gens de province quand ils viennent pour faire de la formation et les mettre dans un site tiers, pour moi, ça n'a pas de sens. Autant les faire venir au siège pour qu'ils se sentent un, ils soient fiers d'être là, ils viennent voir l'environnement et ils se sentent vraiment faisant partie de l'entreprise. Donc pour moi, le rôle d'un siège, ça va être ça et après, ça va être un lieu de rencontre.